Chassé par le fils
LA FERME AUX VENTS, MAI 2012
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Depuis deux nuits, Gérard ne dort pas. Ce technico-commercial de 46 ans, à la démarche nonchalante, s'est fait rabrouer lundi matin par Sébastien, le fils de Claude qui lui a laissé les rênes de l'exploitation après 40 ans passés au milieu de son troupeau de montbéliardes. La sonnerie de son mobile l'extirpe de ses pensées noires. « Tu passes toujours à 14 heures ? » lui lance René. « Oui, et avec les deux sacs de semences de maïs qui te manquent. » « Ça tombe bien, le petit va pouvoir finir de semer le Grand Pré. Tu sais, Gérard, que depuis une semaine, il est tout seul à la ferme. J'ai pris enfin la quille. Depuis le temps qu'il me poussait à le lâcher. »
Devenu blême, le technico raccroche. « Encore un… » murmure-t-il, seul dans sa voiture garée près de la crêperie où il vient de déjeuner. Une demi-heure plus tard, il se gare dans la cour d'une ferme coquette, l'accueillant avec de superbes rhododendrons aux fleurs rouges.
Les deux hommes sont en train de décharger les sacs de semences quand un jeune homme d'une trentaine d'années arrive au volant d'un John Deere tractant un semoir combiné. Sautant lestement depuis sa cabine, Jérôme salue rapidement le technico-commercial. « Ah, tu amènes les semences qui manquaient. Merci. » Puis, il file dans le hangar chercher un bidon d'huile. En revenant, il est interpellé par son père. « Dis, tu n'as pas besoin de revoir ton programme en céréales ? » Se retournant prestement, Jérôme ronchonne. « Papa, c'est moi le patron maintenant ici. T'as plus à me dire ce que j'ai à faire. Et je prendrai mes produits chez qui je veux. Je ne suis pas obligé de faire comme toi. C'est ma ferme. » René et Gérard se regardent, gênés. « Qu'est-ce que tu veux dire par là Jérôme ? Tu ne veux plus bosser avec moi, alors que je viens ici depuis vingt ans ? » La voix tendue, le technico sent monter un vent de panique. L'exploitation possède quand même 200 ha et achète quasiment tous ses intrants auprès de Gérard. « Et bien, tu as tout compris. J'en ai marre d'entendre toujours les mêmes conseils, que tu fasses ta loi ici, de ne pas avoir tous les produits que je souhaite. Ouais, j'ai envie de faire à ma façon. Mon pote Pierre achète à ton concurrent et sur internet. Et il est très content. Ça me tente bien. » Quel vent !
Hélène Laurandel
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